La bataille de l’œuf

Marché de masse qui tend à se sophistiquer, l’œuf est présent dans plus de 88 % des foyers. Directement ou sous forme de préparation, chaque français consomme en moyenne 264 œufs par an, soit environ la production annuelle d’une poule pondeuse. Au total 15,9 milliards d’œufs sont consommés par an dans l’Hexagone. Les achats des ménages en œufs coquilles représentent un peu moins de la moitié, avec 6,5 milliards d’unités. Les GMS (Grandes et Moyennes Surfaces) détiennent 60 % de ce marché avec près de 3,6 milliards d’œufs préemballés. Le reste revient au hard discount (21 %) ou aux circuits traditionnels.

Si la consommation annuelle en volume tend à stagner, en revanche, avec 680 millions d’euros, le chiffre d’affaires est plus dynamique. Cela est lié à une hausse du prix de vente moyen et à l’essor de segments valorisés. La valorisation passe soit par le mode d’élevage des poules (vie en plein air avec ou sans qualification Label Rouge), soit par une promesse nutritionnelle avec un axe santé (oméga 3) ou éthique (biologique).

C’est avec les produits standard que l’œuf continue de faire le plus gros de ses volumes et de sa valeur. Cette catégorie représente plus de 7,5 sur 10 œufs vendus en GMS, essentiellement en premiers prix et en MDD (Marque De Distribution). « La MDD domine le marché et progresse avec 42,8 % de part de marché contre 40,2 l’année dernière, note Eric Hamel, responsable marketing de l’Oeuf de Nos Villages. Dans le même temps, les marques nationales perdent 0,8 %, passant de 34,6 à 33,8 %. »

Les grands acteurs omniprésents

De fait, les MDD se sont investies sur les segments valorisants et récupèrent très vite les innovations des marques nationales. « Jusque-là, le Label Rouge était quasiment absent des MDD. Après Intermarché et Leclerc, toutes les enseignes arrivent aujourd’hui sur ce segment. Fin 2005, 90 % des enseignes auront du Label Rouge » annonce Philippe Lalère, directeur marketing du groupe Appro.

Caractéristique du marché, les grands acteurs sont présents sur tous les segments. Deux groupes au coude à coude, Matines et Appro, détiennent plus de 80 % du marché. À quelques nuances près, tous deux développent des premiers prix, des MDD et leurs marques nationales (Matines et Mas d’Auge d’un côté Lustucru, Loué et La Mère Poulard de l’autre). Il faut aussi compter avec l’Oeuf de Nos Villages. Lui aussi est présent partout et mène ces derniers mois une politique offensive avec sa marque Cocorette, positionnée plein air, Label Rouge et Bio.

Parallèlement, des groupements d’éleveurs développent des marques régionales et travaillent en direct avec les magasins. Ainsi, le groupe Prodi œufs, présent à la fois sur l’industriel et sur l’alternatif, « fédère au national dix éleveurs et va en intégrer trois supplémentaires d’ici la fin de l’année », rapporte le directeur marketing, Jean-Luc Thérin.

Le groupe possède des marques par région : le Clos Saint-Jacques dans l’Ouest, La Mère Poule dans le Nord ...

Sortir du rang

L’œuf est un produit difficile à différencier. « Sur ce produit, il n’est pas facile de créer et d’imposer une valeur ajoutée, reconnaît Jean-Jacques Jarjanette, responsable marketing chez Matines. Le consommateur ne veut pas que l’on touche trop à son œuf. Il préfère le conserver dans sa simplicité et dans son intégrité. Nous travaillons sur des choses sensibles, les marges de manœuvre sont étroites. »

Apparemment, le retour en arrière est une des façons d’aller de l’avant. L’innovation puise ses sources dans la tradition. En 2004, Matines a obtenu le prix Saveur de l’ année pour la production de ses Gauloises noires de Bresse, qui pondent des œufs à coquille blanche, comme autrefois. Le terme « BasseCour » choisi par l’Oeuf de Nos Villages pour relancer une de ses gammes évoque les exploitations d’antan et la tradition fermière. La production concernant des poules élevées au sol (en lieu clos, mais sans cage), l’appellation a été contestée. « Basse-Cour nous permet simplement de monter en gamme, commente Eric Hamel. Il n’y a pas d’équivoque, nous sommes en boîte marron qui évoque le sol et non le plein air. » Reste que l’appellation est encore officiellement en examen.

Également pour dynamiser le segment standard, l’Oeuf de Nos Villages a développé cette année la gamme Vitalité. Elle apporte trois fois plus de vitamines et d’éléments minéraux grâce à une alimentation spécifique des poules.

Mais c’est dans les segments valorisés que la tradition tient le plus grand rôle. Ceci dans un cadre réglementaire fixant l’espace vital et le mode d’alimentation. C’est vrai pour l’élevage en plein air et pour le Label Rouge. C’est aussi vrai pour le bio qui exige que la nourriture des poules provienne à 90 % de la culture biologique. Avec 10 % du marché, ce segment semble avoir fait le plein. Pour le dynamiser, Matines a lancé fin 2003 l’œuf bio daté du jour de ponte, ce qui ne concernait jusque-là que les productions standard. « Cela a nécessité une logistique particulière pour faire en sorte que les œufs soient ramassés rapidement », souligne Jean-Jacques Jarjanette.

Même démarche chez Appro qui, depuis avril 2004, propose sous la marque Loué des œufs bio datés du jour de ponte, adaptés aux réseaux de proximité et présentés par boîte de quatre. « Ce conditionnement convient à des célibataires, à des familles peu nombreuses, avec une cible centre-ville, là où se trouvent en majorité les amateurs de bio », commente Philippe Lalère.

L’oméga 3

Autre segment à valeur ajoutée, l’oméga 3, issu d’une poule nourrie avec une alimentation riche en graines de lin. Cette démarche, parfois perçue comme anti-naturelle, constitue un frein que vient accentuer l’aspect alicament du produit. Résultat, avec 0,2 % du marché, l’oméga 3 a du mal à trouver son public. « Pourtant le besoin existe, soutient Eric Hamel. Ces œufs apportent une réponse aux consommateurs soucieux de leur santé. » L’Oeuf de Nos Villages vient ainsi de relancer sa gamme oméga 3 Forme & Equilibre avec un packaging rénové.

Appro cherche aussi à redynamiser les oméga 3. Jusque-là, aucune des marques du groupe n’apparaissaient dans ce segment. Aujourd’hui, c’est Lustucru qui porte les oméga 3 avec une gamme lancée en septembre. « Nous avons de grosses ambitions sur ce marché, révèle Philippe Lalère. Nous l’abordons avec une nouvelle logique. Là où la concurrence place le produit sous un axe santé, nous mettons en avant l’élément plein air. Nous avons minoré l’oméga au profit du bien-être de la poule, libre et bien nourrie. » Pour faire passer le message, les Lustucru Plein Air oméga 3 (x 6) vont faire l’objet d’une communication presse en fin d’année et d’une communication télévision en 2005.

De la pub

Cette campagne s’inscrit dans un mouvement de communication des marques, soucieuse d’accroître leur notoriété. En septembre, la marque Matines a exalté le bonheur des poules gambadant en plein air via trois spots humoristiques. Une seconde vague est prévue en fin d’année. Au premier semestre 2004, la marque l’Oeuf de Nos Villages a fait ses premiers pas dans la presse et sur les ondes de France Inter.

À l’image et à la notoriété, les marques ajoutent les opérations promotionnelles, ressorts importants pour les ventes. « L’opération Matines - Gîtes de France, en septembre, a généré de gros volumes sur la rentrée », souligne JeanJacques Jarjanette. C’est en partenariat avec Tefal que l’Oeuf de Nos Villages lance son troisième carnet gourmand, « Goûters et desserts en famille ». L’opération s’est déroulée du 1er octobre au 29 novembre. Bons de réduction, primes, jeux, opérations ponctuelles, telle la Chandeleur, auxquelles il faut ajouter les nouvelles recettes sont des occasions classiques mais toujours efficaces pour multiplier les ventes.

MERCHANDISING : De l’achat basique à l’achat réfléchi

L’assortiment des œufs proposé par les enseignes est large mais stable. En GMS, les consommateurs ont le choix entre 16 références en moyenne. Le rayon trouve une place légitime à proximité de familles complémentaires couramment utilisées avec l’œuf cuisiné : beurre, lait, fromage.

L’arrivée des produits à valeur ajoutée et l’obligation depuis janvier 2004 de présenter les œufs par catégorie et selon le mode d’élevage ont amené les distributeurs à clarifier une offre pas toujours simple à lire. La clarification passe à la fois par le visuel des packagings et l’organisation du rayon. Avec des nuances, les plans merchandising élaborés par les industriels visent à transformer un achat basique en achat réfléchi.

Il s’agit à la fois de faciliter le choix et de suggérer visuellement la montée en gamme. Une manière aussi de justifier les écarts de prix : + 40 % pour le plein air et le Label Rouge, + 85 % pour les bio et oméga 3 par rapport aux produits standard.

Les rayons remodelés s’appuient sur une logique d’achat qui, outre la fraîcheur, le calibre et les boîtages, met en scène les convictions du consommateur (respect de l’environnement, bien-être des poules), ses motivations d’achat et ses besoins.

Conçu par Matines, le plan Ovo2 développé depuis un an et demi retient trois catégories : classique, tradition, nutrition. Photographies, couleurs et pictogrammes simples signalent chaque famille. Chez Appro, le rayon se met en quatre avec nature, nutrition, gourmandise et famille. Un des derniers modèles arrivés, celui de l’Oeuf de Nos Villages, est baptisé CQFD. Au programme : clarifier l’offre, qualifier les besoins du consommateur, favoriser la lisibilité des modes d’élevage, développer le chiffre d’affaires.

Le concept se décline en trois pôles : terroir et tradition, fraîcheur et équilibre, cuisine au quotidien. « Nous accompagnons cette segmentation avec des accroches et des informations simples et claires. Actuellement, nous comptons environ 100 magasins équipés », déclare Eric Hamel. Ces plans peuvent bien sûr accueillir tous les produits, y compris ceux des concurrents. L’essentiel étant en fin de compte de ne pas laisser le prix arbitrer l’achat d’un consommateur perplexe devant le rayon.

L’œuf de caille : d’abord à l’apéritif

Un marché modeste mais en progression. « À fin août en cumul annuel mobile, on compte 20 millions d’œufs de caille vendus, soit un saut de 20 %. Segment bien valorisé, il a généré un chiffre d’affaires de 4 M€ soit 0,20 € l’unité, précise Philippe Lalère. L’œuf de caille est essentiellement consommé en apéritif. C’est cet usage qui, en général, déclenche le premier achat. » Un premier pas : une fois que le produit a été testé, on constate que le taux de ré-achat est immédiat et important, « de l’ordre de 90 % », souligne Philippe Lalère. C’est pourquoi Appro se dispose à promouvoir et à faire découvrir l’œuf de caille en lançant sur ce marché sa marque La Mère Poulard. Forte de son positionnement qualitatif gastronomie et gourmandise, La Mère Poulard vient ainsi rejoindre les MDD et la marque Matines déjà présentes dans ce segment. Le but étant de faire découvrir le produit et d’augmenter le taux de pénétration consommateur. La Mère Poulard arrive avec des boîtes de 12 œufs (contre 18 en général), ce qui signifie un produit plus accessible, au prix de vente plus bas. Appro a fortement marketé son produit avec des recettes gourmandes présentées sur les packs. Il a aussi créé de petits présentoirs qui peuvent être installés au rayon fromage, au rayon coupe ou dans le linéaire des œufs. La gamme a commencé à se mettre en place en septembre pour être fin prête en fin d’année.

Les fêtes favorisent les ventes : 60 % des ventes d’œufs de caille se font entre Noël et Pâques.

Œufs en vrac : en direct de la ferme

Les ventes en vrac, soit quelques 400 millions d’œufs, représentent à peu près 10 % du marché préemballé et 13 % du chiffre d’affaires (107 M€). Ses progressions sont importantes : + 1,9 % en volume et + 3,2 % en valeur. « L’obligation depuis janvier dernier d’inscrire sur la boîte ou sur l’œuf le mode d’élevage des poules a conduit nombre de distributeurs à revoir leur assortiment en mettant plutôt des œufs plein-air et bio, ce qui explique en partie la progression en valeur », commente Philippe Lalère.

Caractéristique du vrac : c’est un marché avec peu de marques. Au national, La Mère Poulard fait exception. Elle est entrée dans ce segment en 2003 avec une offre plein-air et un kit présentoir, à la fois kit de présentation et kit logistique. La Mère Poulard répond à une interrogation légitime du consommateur, d’où viennent les œufs ? Et le conforte dans son imaginaire.

Avec le vrac, les gens choisissent eux-mêmes et ont l’impression d’acheter des produits venant de la ferme d’à côté et qui ont été livrés le matin même.

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