Pourquoi mégoter !

En mars 2003, New York est la première ville à interdire de fumer dans tous les lieux publics fermés. Contrairement à ce qui avait été craint, les chiffres d’affaires des restaurants et des bars n’ont pas été atteints par cette décision et auraient même progressé. Même constatation en Irlande, qui est devenu au printemps dernier le premier pays à prohiber le tabac dans les lieux publics fermés et où les gérants de pub, initialement très inquiets, pourraient presque aujourd’hui se féliciter de ces dispositions. Depuis, dans de nombreuses villes et pays, New York et l’Irlande ont été imités : c’est ainsi que Tokyo connaît quelques quartiers où mêmes les rues sont réputées « non-fumeur », tandis que la Norvège interdit le tabac dans tous les lieux publics depuis le 1er juin 2004 et que la Suède (où moins de 20 % de la population fument) la suivra dès le 1er juin 2005. La dernière législation de ce type en date est entrée en vigueur ce 1er octobre dans deux provinces canadiennes, le New Brunswick et Manitoba, tandis que Saskatchewan appliquera les mêmes règles le 1er janvier.

Avec sa loi Evin, entrée en vigueur le 29 mai 1992 et sans cesse bafouée, la France fait pâle figure. C’est tout du moins l’opinion du Comité national contre le tabagisme (CNCT) qui publiait le 16 septembre 2004 dans le quotidien Le Figaro une lettre explosive dans laquelle il appelait à l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics, incluant notamment les restaurants, les cafés mais aussi les entreprises. Les responsables du CNCT considèrent que non seulement une telle législation permettrait de limiter les effets du tabagisme passif mais aussi d’inciter au sevrage de nombreux fumeurs. « Les interdictions de fumer sur les lieux de travail sont un vecteur essentiel d’incitation à l’arrêt pour les fumeurs. Ces derniers réduisent leur consommation en particulier celle liée à leur activité professionnelle et/ou de détente puis, souvent décident purement et simplement d’arrêter » avait indiqué le CNCT. Pour ce comité, la loi Evin ne semble pas, en l’état actuel des choses, suffisante pour protéger la santé des personnes soumises chroniquement à un tabagisme passif.

La démonstration n’a cependant pas convaincu le ministre de la santé Philippe Douste-Blazy qui s’est déclaré contre une nouvelle loi, estimant qu’il fallait plutôt s’employer à faire respecter celle qui existait déjà, et renforcée par l’adoption le 30 juillet 2004 d’un texte dotant les inspecteurs du travail de missions de contrôle de la loi Evin dans les lieux publics et les entreprises.

Ces dispositions sont évidemment loin de satisfaire le CNCT qui se déclare « prêt à démontrer au ministre pourquoi sa déclaration est non avenue et obsolète ».

Bref, ça fume !

Quant aux professionnels de santé (une fois n’est pas toujours coutume !), ils semblent épouser la position du ministre. Un sondage réalisé fin septembre et début octobre 2004 sur le site du Journal International de Médecine révèle en effet que seuls 33 % d’entre eux souhaitent l’entrée en vigueur d’une loi à l’image de celle existant en Irlande ou en Norvège, tandis que 66 % d’ entre eux y sont opposés et que 1 % affiche ses doutes... Un certain « esprit » français qui souhaite toujours que soit privilégié le libre arbitre et la liberté plutôt que la contrainte explique sans doute la position des professionnels de santé. Rappelons cependant ce que déclarait l’épidémiologiste Catherine Hill de l’Institut Gustave Roussy, interrogée à cette occasion : « l’ exposition atmosphérique à la fumée du tabac augmente de 30 % le risque de cancer du poumon (...) et peut aggraver des situations pathologiques préexistantes comme l’asthme ou les maladies cardiaques ».

L’expression « À bon entendeur, salut ! » pourrait donc aussi bien se décliner de la façon suivante : « À bon fumeur, salut ! »

Tabagisme